mercredi 30 avril 2008

La Religion du Crime


Paris, Librairie Anti-Cléricale, [1882].

Auteurs : Léo Taxil [Gabriel Jogand-Pagès] & Paul Foucher

Grand in-8 de 431 pages, format 18 x 28,2 cm. 54 illustrations et portrait des 2 auteurs. Rare publication.
Gabriel, Antoine Jogand-Pagès, plus connu sous le nom de Léo Taxil, est né à Marseille le 21 mars 1854 dans une famille bourgeoise et catholique. Après des études primaires studieuses chez les Frères Maristes, il fut mis en pension dans un collège de Jésuites, ce qui lui permit d'apprendre le latin et l'art de simuler. En juin 1871, surpris en train de boire une burette de vin de messe, il est renvoyé chez ses parents horrifiés. Il conserva toujours de cet incident une certaine rancune à l'égard des gens de robe. Son père crut sage de l'inscrire au lycée comme élève externe, mais il s'y montra chahuteur et agitateur. Ce fut ensuite la guerre de 1870 et après le désastre, la Commune. A Marseille, celle-ci fut une pantalonnade. Le jeune Gabriel Jogand-Pagès y prit part.
Anarchiste, coureur, paresseux, aimant le verbe et la bonne chaire, il avait toutes les qualités d'un honnête homme. A 25 ans, il est initié à la loge "Le Temple des Amis de l'Honneur Français". Il y rencontre un ancien séminariste, le frère Bernard Enthuileur, avec lequel il s'associe pour fonder la Bibliothèque Anticléricale, qui publie un certain nombre d'ouvrages du meilleur goût : "Les maîtresses du Pape", "Le Pape femelle", "Les crimes du clergé", "L'homosexualité dans les couvents"… Le 24 avril 1885, à l'occasion du 29ème anniversaire de la naissance du maréchal Pétain, Jogand-Pagès prétend avoir eu une vision. Il retrouve la foi de son enfance, abjure ses erreurs et ferme sa bibliothèque anticléricale, d'ailleurs en faillite.
Avec l'aide d'un ami maçon très érudit, médecin neurologue aux Messageries Maritimes, le Docteur Hacks , alias docteur Bataille, il lance une nouvelle publication : "Le diable au XIXème siècle". Ensemble, ils "trahissent" les secrets horribles de la Maçonnerie et dévoilent les rituels des maçons du "Rite Palladique Rectifié "; ils dénoncent les cérémonies d'arrière-loge organisées par ces frères égarés pour adorer le dieu Baphomet, ainsi que leurs pratiques sexuelles douteuses. Sous son nom de plume "Léo Taxil", il connaît son plus grand succès lorsqu'il décrit le concert historique au cours duquel le diable, déguisé en crocodile, aurait interprété une transposition pour piano du fameux "Spunta l'aurora pallida" qui clôture le troisième acte du "Mefistofeles" d'Arrigo Boito. La presse bien pensante s'empare de ces révélations pour démontrer que la Maçonnerie est au service de Satan. Les maçons, inquiets de voir leurs secrets ainsi dévoilés, interrompent leurs concerts et reconduisent le crocodile mélomane au zoo municipal.
Devenu célèbre, Léo Taxil publie alors de nombreux ouvrages plus spécialisés: "L'Antéchrist ou l'origine de la Franc-Maçonnerie", "La Maçonnerie démasquée", "Les Sœurs maçonnes", "Y a-t-il des femmes dans la Franc-Maçonnerie ?".
Pendant 10 ans, subsidié par l'Eglise, il écrit des livres et prononce des conférences sur une Maçonnerie sulfureuse et diabolique sortie tout simplement de son imagination. Jouant merveilleusement son rôle de maçon converti, il fait en outre œuvre de charité chrétienne en procurant, pour une fois dans leur vie, des frissons aux vieilles filles bigotes qui assistent, les genoux serrés, aux conférences organisées par leur curé de paroisse. En 1894, Taxil est reçu en audience privée par le Pape. Il est accompagné de la ravissante Diana Vaughan, américaine blonde et sensuelle, qu'il présente comme la Grande Maîtresse du Rite Palladique Rectifié (R.P.R.), sauvée par une prière à Jeanne d'Arc après avoir été empoisonnée par sa rivale du Rite Ecossais Ancien et Accepté, la vénéneuse Sophia Walder.
En réalité, Diana était représentante pour l'Europe d'une marque de machines à écrire américaine, mais elle était surtout sa complice et maîtresse; quant à Sophia Walder, il semble qu'il s'agissait d'une amie du couple qui accepta de jouer ce rôle de composition.
Le cas de Diana intéressait tout le monde. Etait-elle Grande Maîtresse du Rite Palladique Rectifié, dont le temple luciférien était installé à Charleston, ou bien une invention de Léo Taxil ? L'évêque catholique de Charleston traversa les mers pour se rendre à Rome et démentir l'information, affirmant en outre que les francs-maçons de Charleston étaient d'honorables protestants absolument inoffensifs.
Dans les presbytères, les sacristies, les salons catholiques, on ne parlait plus que de Diana. Il fut finalement décidé, avec l'autorisation de Rome, qu'un congrès international se réunirait à Trente en mars 1896, pour contrôler sa conversion et ses accusations. Après la procession inaugurale, l'envoyé du Pape donna lecture solennelle d'un télégramme de Léon XIII. Les travaux durèrent plusieurs jours et la séance de clôture se termina par une motion déclarant : "… le congrès n'a découvert aucune preuve péremptoire soit pour, soit contre l'existence, la conversion, l'authenticité des écrits de Diana Vaughan…".
Mais Léo Taxil commençait à se lasser de l'aventure. Finalement, le 19 avril 1897, à la Société de Géographie, alors qu'il est à l'apothéose du succès, devant un public extrêmement nombreux, il provoqua un coup de théâtre en expliquant qu'il s'agissait d'une mystification pour se moquer du Pape et de tous ceux dont le sens critique était étouffé par un anti-maçonnisme maladif. Il confirma alors publiquement que ses révélations étaient fausses, précisant que le Rite Palladique Rectifié n'existait pas et que Diana, présentée comme Grande Maîtresse du Rite luciférien, était plus simplement la sienne.
Ce discours fut publié le 25 avril dans le journal "Le Frondeur".
Pendant 10 ans, Léo Taxil avait ainsi démontré que le vrai responsable d'un mensonge n'est pas toujours celui qui le commet, mais souvent celui auquel on le destine, parce qu'on sait qu'il ne supporterait pas la vérité. Le clergé sortit ridiculisé de cette aventure.
Taxil pouvait enfin oublier la burette de vin de messe qu'il avala dans la sacristie de son collège. Malheureusement, la Maçonnerie fut parfaitement ingrate envers celui qui avait aussi glorieusement défendu sa cause : il ne reçut aucune médaille, aucun sautoir, aucun cordon… On raconte qu'il est mort le 31 mars 1907, mais comme le comte de Saint-Germain, il est éternel et il hante encore les temples de la maçonnerie.
Voir aussi Confessions d'un Ex-Libre-Penseur et Les Frères Trois-Points.