lundi 7 juillet 2008

La Sorcière

Bruxelles & Leipzig, A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie, Editeurs, 1863.

Auteur : Jules Michelet

In-12 de XXII-420 pp. (la première page étant toutefois numérotée 25).

Jules Michelet (1798-1874) est un historien français, né à Paris d’une famille aux traditions huguenotes. Son père était un maître-imprimeur, ruiné par les ordonnances de Napoléon contre la Presse, et Jules l’assista concrètement aux travaux d’impression. Une place lui fut offerte à l’Imprimerie Impériale, mais son père la refusa, préférant s’imposer des sacrifices pour l’envoyer étudier au célèbre lycée Charlemagne, où il se distingua. Il réussit l’agrégation des lettres le 21 septembre 1821, et fut bientôt nommé professeur d’histoire au collège Rollin. Peu après, en 1824, il se maria.
C'était une des périodes les plus favorables pour les érudits et les hommes de lettres en France, et Michelet avait de puissants appuis en Abel-François Villemain et Victor Cousin, entre autres. Bien qu’il possédât des idées politiques fermes que lui avait transmis son père (un républicanisme fervent teinté de romantisme libre-penseur), il était d’abord et avant tout un homme de lettres et un enquêteur sur l’histoire du passé. Il appartenait à cette école qui pensait que l’histoire doit être avant tout un cours d’enseignement philosophique, et ses premiers ouvrages furent des manuels scolaires destinés, en premier lieu, à ses élèves.
Les événements de 1830, qui portèrent au pouvoir ses professeurs Abel-François Villemain et François Guizot, lui valurent une place aux Archives Nationales, ainsi que le titre de professeur suppléant de Guizot à la Faculté des Lettres de la Sorbonne. Cela lui donna plus de facilités pour l’étude, et lui permit d’accentuer ses idées.
En 1831, son audacieuse Introduction à l’Histoire Universelle se démarqua de ses ouvrages précédents par un style très différent. Elle mit en évidence son idiosyncrasie et son talent d’écrivain, ainsi que ses étranges qualités de visionnaire qui faisaient réfléchir, mais qui le rendaient aussi moins digne de confiance en tant qu’historien. Il y exposait sa vision de l’histoire comme un long combat de la liberté contre la fatalité.
Peu après, il commença son chef d’œuvre monumental, l’Histoire de France, qu’il mit trente ans à achever. Il accompagna cette production de nombreux autres livres, surtout d’érudition.
Ces ouvrages, et principalement les Origines du Droit Français, sont écrits dans la première manière de Michelet, c’est-à-dire dans un style concis et énergique, capable de donner relief aux sujets les plus arides et de revivifier le passé. Il dit de lui-même :
Augustin Thierry avait appelé l’histoire narration; Guizot, analyse; je l’appelle résurrection.
De 1838 à 1852 il est professeur au Collège de France.
1838 fut une année très importante dans la vie de Michelet. Il était dans la plénitude de ses moyens, ses études ayant nourri chez lui son aversion naturelle envers les principes d’autorité et les pratiques ecclésiastiques, et, à un moment où l’activité accrue des Jésuites provoquait une inquiétude réelle ou feinte, il fut nommé à la chaire d’histoire au Collège de France. Assisté de son ami Edgar Quinet, il commença une violente polémique contre cet ordre impopulaire et les principes qu’il représentait, une polémique qui rangèrent leurs conférences, surtout celles de Michelet, parmi celles qui avaient à l’époque le plus de succès. Elles ne sont pas encore empreints du style apocalyptique qui, en partie emprunté de Lamennais, caractérise les derniers ouvrages de Michelet, mais elles contiennent en prémices la presque totalité de son curieux credo éthique, politique et religieux : un mélange de sentimentalisme, de communisme, d’anti-sacerdotalisme, appuyé par les arguments les plus excentriques et par une grande éloquence.
Le clergé fut assez puissant pour faire interdire ses cours, et sa carrière publique en fut définitivement brisée, puisqu’il ne récupéra jamais son professorat. Lorsque la révolution de 1848 se déclencha, Michelet, au contraire de nombreux autres hommes de lettres, n’accepta pas d’entrer dans la vie politique active, bien que l’occasion lui en fût offerte. Les débordements de cette révolution, les tirs de la troupe sur le peuple notamment, le convainquirent que la démocratie ne serait possible que lorsqu’une foi serait définie et enseignée à l’ensemble des citoyens.
Il se consacra avec plus de force à son travail littéraire. Outre la reprise de sa grande Histoire de France, momentanément interrompue au sixième volume au règne de Louis XI, il entreprit et termina, pendant les années qui séparèrent la chute de Louis-Philippe et l’établissement définitif de Napoléon III, une enthousiaste Histoire de la Révolution Française. En dépit de son enthousiasme, ou peut-être à cause de lui, ce n’est en aucune façon le meilleur livre de Michelet. Les événements étaient trop rapprochés et trop bien connus, et le sujet supportait difficilement les envolées pittoresques qui font le charme et le danger de ses ouvrages plus généraux.
Le coup d’État de Napoléon III fit perdre à Michelet sa place aux Archives, puisqu’il refusa de prêter serment à l’Empire. Mais ce nouveau régime ne fit qu’exacerber son zèle pour la République et son second mariage, (avec Mlle Athenaïs Mialaret, fille du secrétaire de Toussaint Louverture, femme douée de certaines aptitudes littéraires, et aux sympathies républicaines) semble avoir davantage stimulé ses capacités. Alors que sa grande œuvre historique se poursuivait, une foule de petits livres assez surprenants l’accompagnèrent et la diversifièrent. Parfois il s’agissait des versions plus étendues de certains passages, parfois ce qu’on peut appeler des commentaires ou des volumes d’accompagnement.
Dans quelques uns parmi les meilleurs, il traitait des sciences naturelles, sujet nouveau pour lui dont on dit que sa femme l’y avait amené. Le premier d’entre eux (certainement pas le meilleur) était Les Femmes de la Révolution, esquisses détachées de sa grande histoire (1854), où la faculté naturelle et inimitable de Michelet pour le dithyrambe laisse trop souvent la place à l’argumentation ennuyeuse et peu concluante qui fait penser à une prédication. Dans le suivant, L’Oiseau (1856), il se découvrait une veine nouvelle et très réussie. Ce sujet de l’histoire naturelle ne fut pas traité du point de vue de la science tout court, ni de celui du sentiment, ni de l’anecdote ou des commérages, mais de celui du panthéisme démocratique fervent de l’auteur, et le résultat, quoiqu’inégal, comme il fallait s’y attendre, fut souvent excellent. L'Insecte suivit en 1853, dans le même style mais plus ennuyeux.
Michelet restait fidèle à son système d’études psychologiques. Comme historien, il cherchait l’âme des faits; dans ces ouvrages il rechercha l’âme de l’insecte et de l’oiseau. Taine écrivit :
L’auteur ne sort pas de sa carrière; il l’élargit. Il avait plaidé pour les petits, pour les simples, pour le peuple. Il plaide pour les bêtes et les oiseaux.
Ces œuvres remarquables, mi-pamphlets, mi-traités moraux, se succédèrent de façon ininterrompue pendant cinq ou six ans, à douze mois d’intervalle généralement. L’Amour (1858), un des livres les plus populaires de l’auteur fut suivi par La Femme (1859), un livre sur lequel, selon l’Encyclopædia Britannica, on pourrait fonder une critique entière de la littérature et du caractère français, et où Michelet ne fit que distinguer le plaisir sensuel de la passion amoureuse et de l’union de deux cœurs.
À l’homme réconcilié avec les animaux (L’Oiseau et L’Insecte), puis avec lui-même (L’Amour et La Femme), il ne restait plus qu’à apprendre l’amour de la création. Tels furent les buts de La Mer (1861), qui, vu les capacités de l’écrivain et l’attrait du sujet, est peut-être un peu décevant, et de La Montagne, publiée quelques années plus tard.
Dans un autre genre parut en 1862 La Sorcière. Développé à partir d’un épisode de l’histoire, il porte au plus haut degré toutes les étrangetés de l’auteur. C’est un cauchemar et rien de plus, mais un cauchemar de la plus extraordinaire vraisemblance et puissamment poétique. Il y démontra en effet avec audace la fonction utile et salutaire de la sorcière au Moyen Âge, face au savoir officiel détenu et édicté par l’Église.
Cette série remarquable, dont chaque élément était en même temps une œuvre d’imagination et de recherche, n’était pas encore terminée, que les derniers volumes révélèrent un certain relâchement. L’ambitieuse Bible de l’Humanité (1864), une ébauche historique des religions, a tout sauf peu de valeur. Dans La Montagne (1868), le dernier de sa série d’histoire naturelle, les effets de style du genre staccato sont poussés plus loin même que ceux de Victor Hugo dans ses moments les moins inspirés, même si – et c’est normal sous la plume d’un maître de la langue tel que l’était Michelet – l’effet est fréquemment grandiose, sinon réussi. Nos Fils (1869), le dernier de la suite des petits livres publiés durant la vie de l’auteur, est un traité de l’éducation, fidèle à L’Émile de Jean-Jacques Rousseau, écrit avec une grande connaissance des faits et avec les habituelles largeur et profondeur de vue de Michelet, et cela malgré des capacités d’expression déclinantes.
On retrouve ses pleines capacités dans un livre posthume, Le Banquet, publié en 1878. L’image des populations industrieuses et affamées de la côte ligure est (qu’elle soit vraie ou non) une des meilleures choses qu’a faite Michelet. Pour compléter cette liste d’ouvrages de tous les genres, on peut mentionner deux volumes d’extraits ou d’abrégés, écrits et publiés à différentes occasions : Les Soldats de la Révolution et Légendes Démocratiques du Nord, où il expose l’héroïsme des peuples européens pour gagner leur liberté.
La publication de cette série de livres, et l’achèvement de son histoire, occupèrent Michelet durant les deux décennies du Second Empire. Il vécut en partie en France, en partie en Italie, et avait l’habitude de passer l’hiver sur la Côte d’Azur, surtout à Hyères. Enfin, en 1867, la grande œuvre de sa vie fut achevée. Dans l’édition habituelle elle occupe dix-neuf volumes. Le premier de ceux-ci traite de l’histoire ancienne jusqu’à la mort de Charlemagne, le second de l’époque qui vit l’apogée de la France féodale, le troisième du XIIIe siècle, le quatrième, le cinquième et le sixième de la Guerre de Cent Ans, le septième et le huitième de l’établissement du pouvoir rural sous Charles VII et Louis XI. C’est à cet endroit que Jules Michelet a, le premier de manière aussi abondante et érudite, évoqué la culture de la Wallonie, démontrant une prodigieuse connaissance de la musique, de la sculpture, de la littérature de la Wallonie. Marcel Thiry a parlé de «divination». Et c’est aussi toute la société wallonne que Michelet a génialement senti. Le XVIe et le XVIIe siècle sont traités chacun en quatre volumes, dont une grande partie n’est liée que de façon lointaine à l’histoire de France proprement dite, surtout dans les deux volumes intitulés Renaissance et Réforme. Les trois derniers volumes continuent l’histoire du XVIIIe siècle jusqu’au déclenchement de la Révolution.
Michelet fut peut-être le premier historien à se consacrer à une sorte d’histoire pittoresque du Moyen Âge, et son art de raconter reste un des plus vivants qui aient existé. Ses recherches dans les sources manuscrites et imprimées était des plus laborieuses, mais son imagination vivace, et ses forts préjugés politiques et religieux, lui faisaient voir tout d’un point de vue trop personnel. On constate une inégalité de traitement des événements historiques. L’hostilité sans compromis de Michelet envers le Second Empire n’empêchèrent pas que sa chute et les désastres qui l’accompagnèrent le stimulassent encore une fois pour le pousser à agir. Non seulement il écrivit des lettres et des pamphlets durant la guerre, mais lorsqu’elle fut achevée, il entreprit de compléter par une Histoire du XIXe siècle la gigantesque tâche qu’il s’était assigné et que ses deux grandes histoires avaient déjà presque terminée. Concernant sa carrière publique, la nouvelle république ne lui rendit pas entièrement justice, refusant de lui redonner son professorat au Collège de France, dont il prétendait n’avoir jamais été légalement privé.
Il ne vécut pas assez pour achever sa dernière grande entreprise, sa vaste fresque du XIXe siècle. La mort le surprit avant. On en trouva sur sa table de travail le troisième volume entièrement fini, incluant la Bataille de Waterloo. Si certains pensent que sa meilleure critique est peut-être contenue dans l’‘‘incipit’‘ du dernier volume, – «l’âge me presse» –, on peut dire également qu’il mourut comme il avait vécu : en travaillant.
Les Origines du Droit Français, cherchées dans les symboles et les formules du droit universel de Michelet furent éditées par Émile Faguet en 1890, et une seconde édition parut en 1900. À son décès en 1874, Jules Michelet fut enterré au cimetière de Hyères puis inhumé pour célébrer des funérailles officielles et publiques (la police déclare plus de 25 000 personnes) au cimetière du Père-Lachaise à Paris, le 18 mai 1876.

Publiée en 1862 chez Dentu et Hetzel, La Sorcière peut être considérée, après L'Amour (1858) et La Femme (1859) comme le troisième volet d'une trilogie consacrée par Jules Michelet (1798-1874) à la femme, dont il avait également célébré la grandeur dans Jeanne d'Arc (1853) et Les Femmes de la Révolution (1854). À sa parution, le livre, un temps menacé de saisie, connut un succès de scandale. Michelet, accusé par ses adversaires de s'être livré à une apologie du satanisme, ne trouva guère d'appui chez ses propres amis, qui lui reprochèrent d'avoir cédé à la tentation de l'obscurantisme. Longtemps oublié, La Sorcière a été redécouverte dans les années 1950-1960 par les historiens des Annales et leurs successeurs. L'ouvrage se compose de deux parties comprenant chacune douze chapitres. Adoptant une approche et un style plus littéraires que véritablement historiques, Michelet retrace, à la manière d'un roman ou d'une tragédie, l'histoire d'une sorcière imaginaire, victime des pouvoirs qui asservissent le peuple (dont elle apparaît à la fois comme le porte-parole et la libératrice) et de ceux - généralement les mêmes - qui oppriment la femme, créature redoutée et maudite parce que trop liée à la Nature, donc libre et potentiellement subversive.