dimanche 6 juillet 2008

Une Société Secrète d'Ecclésiastiques aux XVIIe et XVIIIe Siècles. L'AA Cléricale. Son Histoire, ses Statuts, ses Mystères

A Mystériopolis, chez Jean de l'Arcane, Libraire de la Société, 1893.

Auteur : [Lieutaud]

In-12 de 88 pp.

On ne trouve pratiquement pas d’éléments concernant les «sociétés AA». Il a bien été question d’une liste, retrouvée dans les environs de Vienne, de membres de ce mouvement, liste sur laquelle, entre autres, on pouvait lire les noms d’un certain abbé Boudet et de deux évêques de Carcassonne.
Il semble que plusieurs mouvements se soient réclamés de cette forme «sociétaire». Pourtant, alors qu’ils étaient certainement présents dans plus de 39 régions de France, seule la région toulousaine possède encore des documents sur le sujet.
La présentation générale de ces sociétés, peu connues, montre une structure soigneusement établie sur un secret accompagné d’un perfectionnement spirituel incontestable. Au moment de la Révolution Française, ces sociétés secrètes s’opposent à un clergé géré par une Constitution civile. On retrouve également leur action virulente contre le pouvoir napoléonien lors du pillage des archives du Vatican, du saccage de Rome et de l’arrestation du Pape.
Selon Jean-Claude Meyer (Bulletin de Littérature Ecclésiastique) :
L’étude de l’AA de Toulouse, fondée au XVIIe siècle dans la mouvance de l’AA de Paris, s’insère dans la compréhension du mouvement plus général de réforme spirituelle et apostolique du clergé de France à cette époque. Par-delà des règles qui apparaissent aujourd’hui surannées, l’histoire de cette AA révèle l’esprit de fraternité sacerdotale vécu par les confrères. Ainsi s’explique son exceptionnelle longévité et on en verra les effets positifs, en particulier pendant la décennie révolutionnaire.
Nous retiendrons également le travail du Comte Béguoin, qui écrivit en 1913 une des rares études présentant une approche assez complète du sujet sous la forme d’un ouvrage intitulé : Une Société Secrète, Emule de la Compagnie du Saint-Sacrement. L’AA de Toulouse aux XVIIe et XVIIIe Siècles. D’après des Documents Inédits.
Le comte Bégouin admet quelques difficultés à se documenter sur la question, mais qu’il existe des «documents inédits» auxquels il finit par accéder pour accomplir son travail. Pour cet auteur, l’Arrêté du Parlement du 13 décembre 1660 marque la dissolution de la Compagnie du Saint-Sacrement et
fait défense à toutes personnes de faire aucunes assemblées, ni confréries, congrégations et communautés en cette ville, ni partout ailleurs sans l’expresse permission du Roi.
Il semble d’abord que la AA ait eu pour mission de perpétuer la relève de cette «Compagnie» détruite, puis, peu à peu, de se consacrer à la maintenance d’un «secret» dans des conditions relevant de celles des mouvements les plus fanatiques qui soient.
Curieusement, un des premiers documents à utiliser le terme A et AA sera édité par M. Lieutaud, bibliothécaire à Marseille. Il s’agit de la reproduction d’un mémoire de 1775 sur l’AA de cette ville, écrit par son président, avec le règlement complet de ladite Société. Le titre ne rime guère avec le contenu, et c’est un des points de curiosité de cette édition de 16 pages, sans la moindre référence d’imprimerie ou d’édition, parue sous le nom de A et AA, prodrome d’une future encyclopédie provençale.
Il est difficile de comprendre le rapport immédiat entre une AA et la place d’une encyclopédie, surtout provençale. Tout aussi curieux sera le fascicule suivant de ce même bibliothécaire, toujours sans référence de dépôt légal, sous le titre Histoire de la France par un Chartreux, qui a de fortes chances de nous ramener aux travaux de Dom Polycarpe de la Rivière. Deux autres parutions, toujours sans indication de référence, suivront sur les mêmes thèmes (collection Moraux de Waldan).
A ce stade on est surpris par deux choses :
D’abord, comment expliquer qu’un ancien bibliothécaire produise des ouvrages ostensiblement sans référence, alors qu’il doit être habitué à une autre rigueur de par sa formation professionnelle ? Ensuite, les titres sont «bizarres et déconcertants» (Béguoin), comme si tout était fait pour que ces livrets soient introuvables dans le cadre d’une recherche ordinaire en bibliothèque… sauf pour un «initié» qui saurait dans quel registre les localiser !
Toujours aussi étrangement, c’est peu après cette «diffusion» que sera édité un autre recueil, encore plus mystérieux. Celui-ci, tout en affichant résolument le sujet de l’AA, s’entoure d’une page de couverture digne du plus bel ouvrage d’occultisme que l’on puisse trouver : Une société secrète d’ecclésiastiques aux XVIIe et XVIIIe siècles. L’ AA Cléricale. Son Histoire, ses Statuts, ses Mystères, avec l’épigraphe Secretum prodere noli - «A Mystériopolis, chez Jean de l’Arcane, libraire de la Société, rue des Trois-Cavernes, au Sigalion, dans l’arrière boutique. MDCCCXCIII, avec permission».
Puis, au dos de cette page, cette mention :
Tiré à 100 exemplaires (Aucun ne sera vendu)
On croit rêver, ou se trouver plongé dans un polar ésotérique ! Mystériopolis… Jean de l’Arcane… rue des Trois-Cavernes… au Sigalion… et, enfin, «avec permission»… sans que nous soit dit de qui émane cette permission ! Tout y est énigmatique et en déséquilibre avec la rigidité habituelle d’un texte réservé à l’exclusivité de quelques religieux soigneusement sélectionnés. On pourrait crier au canular, au montage, à la farce ou aux documents falsifiés comme d’autres dans l’affaire de Rennes-le-Château ! Et pourtant… oui, pourtant, le livret existe. Ajoutons, pour lever un petit coin du voile, que l’imprimeur de cette petite merveille se situait dans la région viennoise… De son « arrière-boutique » sortiront également les publications, sans référence, de monsieur Lieutaud, ancien bibliothécaire de Marseille, et d’autres, sur le même registre.
Cependant ajoutons que Lieutaud jamais ne dévoila ses sources. Il précise seulement dans son travail, à propos de ces pièces :
Par quelles voies, aussi multiples qu’inattendues, sont tombées en nos mains les pièces originales qui ont servi à composer ce travail, nous ne sommes pas autorisé à le dire, et grâce à Dieu, quoique nous n’ayons jamais été d’aucune Aa, nous savons garder un secret.
Et le comte Bégouin de déplorer de ne pas pouvoir remonter à la même source, tout en ajoutant :
Ce que je sais du soin jaloux avec lequel les derniers possesseurs de ces précieux papiers les gardaient renfermés et cachés, me laisse supposer que, comme pour la Compagnie du Saint-Sacrement, nous sommes loin de connaître tous les endroits où ces archives gisent ignorées.
Ensuite, un peu plus loin, il explique qu’il eut accès, à Toulouse, à des archives sur la AA où se trouvait un «livre d’or» , c’est à dire la liste de plus de treize cents noms d’ecclésiastiques toulousains qui en ont fait partie.
Il existait également un autre livret de ce genre, imprimé à Lyon chez Baptiste de Ville, rue Mercière, «A la Science», en 1689. Mais, à l’image des ouvrages concernant ce sujet, il est «rarissime et inconnu des bibliographes», tout comme encore un autre «de 1654 n’est destiné qu’à un nombre restreint d’initiés, à ceux qui faisaient partie du petit groupe d’élus composant les Aa».
Le choix du titre «Aa», «AA» ou «A.A.» n’est jamais expliqué clairement. Il est question des initiales de l’expression Associatio Alicorum, qui pourrait correspondre à l’idée de liens très étroits entre les membres du mouvement. Une autre source explique qu’il s’agit de prendre les deux «A» du mot AssociAtion et de les présenter à la façon de certains écrits alchimiques écrivant «AAA» pour le terme AmAlgAmer, en supprimant les consonnes pour ne garder que les voyelles afin d’opacifier le texte au profane.
Plus simplement, Béguoin explique que les deux «A» signifieraient simplement Amis et Assemblées, résumant astucieusement l’esprit de base de cette société. Enfin une autre hypothèse, avancée par Lieutaud, éclaire différemment le terme «AA» qui, pour lui, reprend simplement les initiales d’Amitiés Angéliques. Certes, on peut se rappeler avantageusement le nom de la Société Angélique, qui s’épanouit justement au XVIIe siècle. Le rapprochement n’est pas si hasardeux qu’il le paraît, car, sur les rares feuilles de courrier émis par les AA, les entêtes sont souvent ainsi écrits : J. M. J. A. C., soit les initiales de : Jésus, Maria, Joseph, Angeli Custodes. Par ailleurs, on retient que la AA de Toulouse a justement pour patrons Jésus, Marie, Joseph et les saints Anges…
Pour donner toute la valeur à cette hypothèse, il est utile de rappeler qu’à l’époque de cette société, le terme «Amitié» n’est pas galvaudé comme il l’est à présent. Amitié évoquait le verbe «aimer», au sens sacré du terme, et, ajouté à l’image des «Anges», il prenait une proportion qui nous échappe forcément à présent.
La règle du «secret» était absolue et sans dérogation. Certes, pour certains chercheurs dans le cadre de ce genre de société, le secret était simplement celui des «bonnes actions charitables sous l’initiative religieuse». Mais des actions si louables, généreuses et humanitaires justifiaient-elles de conserver ce «secret» jusqu’au paroxysme que nous allons survoler :
Il est donc d’une nécessité indispensable d’en garder le secret. Ne le révélez à qui que ce soit, ni aux amis les plus intimes, ni aux parents les plus chers, pas même au confesseur le plus affidé. Pourquoi en parlerait-on au confesseur ? Dans un projet de cette nature, que les seules lumières naturelles démontrent venir du Père des lumières, une pareille confidence ne fut jamais nécessaire; elle serait toujours imprudente et souvent contraire à l’existence ou à la propagation de notre Aa. Hors des assemblées, les confrères se comporteront entre eux comme si nul lien secret ne les unissait. Nul signe, nulle parole qui fasse soupçonner du mystère. Dans leurs lettres, s’ils viennent à parler de l’Aa, les termes les plus généraux et les plus courts seront ceux dont ils se serviront. On ne nommera jamais l’Aa, ni dans les lettres, ni dans les conversations ordinaires. Ceux qui auront chez eux quelques papiers relatifs à notre Association les conserveront avec soin et sous clef.
Ces règles pourraient être celles que nous trouverions au sein de toutes sociétés secrètes ou initiatiques à un très haut degré. Ce cadre de sécurité pourrait être, évidemment et toutes proportions gardées, celui d’une loge maçonnique du début du siècle. En ce cas nous ajouterions qu’il ne s’agirait plus d’un mouvement «secret» mais d’une société «discrète».
Il est difficile de croire qu’au sein de l’Eglise, une société, composée de religieux, puisse imposer de telles injonctions pour protéger de simples actions de prières, de bienveillance, de charité et d’humanité.
La AA comprenait la possibilité d’admettre, sous certaines conditions, des femmes rassemblées en une congrégation exclusivement féminine. Tout comme pouvaient être acceptés des laïques, mais là aussi dans des conditions très strictes. Selon les différentes sortes de membres, ils étaient répartis selon plusieurs «Congrégations» différentes. Pour les séminaristes, la règle AA prévoyait une sorte d’antichambre d’attente appelée Petite Société. Dans celle-ci étaient admis les futurs prêtres, d’où il leur était cependant impossible de connaître les membres «actifs» et, de fait, ce système évitait tout incident de fuite. Tout comme dans d’autres confréries, il y avait à l’intérieur de la société plusieurs niveaux, ou degrés, dans la hiérarchie. C’est ainsi que le Comte Béguoin distinguait que, dans le «livre d’or», certains membres étaient «passés de l’Aa laïque à l’Aa ecclésiastique».
A ce stade, il est encore possible de considérer que nous sommes en présence d’une congrégation, d’une sévérité très exceptionnelle, réservée à une sorte d’élite religieuse, sans encore pouvoir accepter l’idée qu’elle puisse être autre chose de plus sombre. Il semble donc important de citer ce passage sous-entendant, pratiquement sans ambigüité, l’existence dans la AA d’une partie clairement nommée «occulte», ce qui, pour des religieux, a de quoi nous surprendre :
En même temps, derrière cette congrégation ou Société visible, il y en avait une autre, occulte. C’était une véritable Aa, dont l’existence était un mystère, et le nom des membres un mystère plus grand encore. On comptait parmi eux plusieurs personnages politiques. Les réunions étaient secrètes et certains membres, notamment le prince de Polignac, ne s’y rendaient que déguisés. Avant d’être admis dans cette association, il fallait jurer le secret le plus absolu, promettre une obéissance aveugle à des chefs et à des mots d’ordre qu’on ne connaissait pas.
(d’après www.societe-perillos.com)