lundi 25 août 2008

L'Affaire du Collier

Paris, Librairie Hachette et Cie, 1906.

Auteur : Frantz Funck-Brentano

In-12 de XXXVI-376 pp., 14 gravures hors texte.

L’affaire du collier de la reine est une escroquerie qui eut pour victime, en 1785, le cardinal de Rohan, évêque de Strasbourg, et qui éclaboussa la reine Marie-Antoinette.
L’instigatrice de cette affaire fut Jeanne de Valois-Saint-Rémy, qui descendait par son père du roi de France Henri II et de sa maîtresse Nicole de Savigny.
Son enfance, cependant, avait été des plus misérables. Depuis Henri II, la lignée était descendue au plus bas. Son père avait épousé une paysanne, qu’il laissa bientôt veuve. Jeanne était envoyée mendier sur les chemins par sa mère, en demandant «la charité pour une pauvre orpheline du sang des Valois». Une dame charitable, la bonne marquise de Boulainvilliers, étonnée par cette histoire, prit des renseignements, et vérifications faites, entreprit les démarches pour lui obtenir une pension du roi, et lui fera donner une bonne éducation dans un couvent situé près de Montgeron.
En 1780, Jeanne épouse un jeune officier d’apparence fort recommandable, Nicolas de La Motte, qui sert dans les gardes du corps du comte d’Artois, second frère du roi. Le ménage, peu après, se délivre de sa propre autorité le titre de comte et comtesse de La Motte. Jeanne ne se fait plus désormais appeler que comtesse de La Motte-Valois. À cette date, elle fait un voyage à Saverne pour rejoindre Mme de Boulainvilliers, qui lui présente son ami le cardinal Louis de Rohan-Guéménée, auquel elle fait appel financièrement pour sortir de la misère avec laquelle elle continue de se débattre plus ou moins. C’est là aussi qu’elle rencontre le mage Giuseppe Balsamo, qui se fait appeler comte de Cagliostro. Celui-ci gravite aussi autour du cardinal de Rohan, en lui soutirant de l’argent en échange de prétendus miracles. Il changerait, entre autres, le plomb en or et la silice en diamant !
Profitant de ce que Versailles est largement accessible au public, Mme de La Motte tente de se mêler à la Cour. Elle parvient à convaincre le cardinal qu’elle a rencontré la reine Marie-Antoinette et qu’elle en est même devenue l’amie intime. Et l’amant de Mme de La Motte, Marc Rétaux de Villette (un ami de son mari), possédant un utile talent de faussaire, imite parfaitement l’écriture de la reine. Il réalise donc pour sa maîtresse de fausses lettres signées «Marie-Antoinette de France» (alors qu’elle ne signait, bien sûr, que Marie-Antoinette, les reines de France ne signaient que de leur prénom). La comtesse va ainsi entretenir une fausse correspondance, dont elle est la messagère, entre la reine et le cardinal, dont le but serait de les réconcilier.
La reine et le cardinal ont, en effet, un vieux contentieux : en 1773 le cardinal, qui était alors ambassadeur de France à Vienne, s’était aperçu que l’Impératrice Marie-Thérèse, la mère de Marie-Antoinette, jouait un double jeu et préparait en sous main le démantèlement de la Pologne, de concert avec la Prusse et la Russie. Il avait écrit une lettre à Louis XV pour l’en avertir, lettre qui avait été détournée par le duc d’Aiguillon, ministre des Affaires Étrangères, qui l’avait remise à la comtesse du Barry, favorite de Louis XV, détestée par Marie-Antoinette. La comtesse l’avait lue publiquement dans un dîner, et circonstance aggravante, le ton de cette lettre était ironique et très irrespectueux envers l’Impératrice (le cardinal la dépeignait notamment, «tenant d’une main un mouchoir pour essuyer les larmes qu’elle versait à propos du démantèlement de la Pologne, et de l’autre main un couteau pour couper sa part du gâteau»).
D’autre part, la vie dissolue du cardinal à Vienne, ses dépenses effrénées, ses maîtresses affichées, ses parties de chasse fastueuses en tenue laïque, avaient scandalisé la pieuse Marie-Thérèse, horrifiée de voir un représentant du Roi Très-Chrétien, et surtout un prince de l’Eglise, se comporter de cette façon. L’Impératrice avait demandé à Versailles le rappel de cet ambassadeur peu convenable et l’avait obtenu.
Depuis ces épisodes, la reine, fidèle à la mémoire de sa mère, était plus qu’en froid avec le cardinal. Ce dernier se désespérait de cette hostilité. La comtesse de La Motte fit espérer au cardinal un retour en grâce auprès de la souveraine. Ayant de gros besoins d’argent, elle commença par lui soutirer, au nom de la reine, 60 000 livres, qu’il était trop heureux d’accorder, tandis que la comtesse lui fournissait des fausses lettres reconnaissantes, de plus en plus bienveillantes, de la reine, annonçant la réconciliation espérée, tout en repoussant indéfiniment les rendez-vous successifs demandés par le cardinal pour s’en assurer.
Or, le comte de la Motte a très opportunément découvert qu’une prostituée, Nicole d’Oliva, opérant au Palais Royal, s’est forgé une jolie réputation due à sa ressemblance étonnante avec Marie-Antoinette. Ses clients l’ont d’ailleurs surnommée la petite reine. Mme de La Motte la reçoit et la convainc de bien vouloir, contre une généreuse somme, jouer le rôle d’une grande dame recevant en catimini un ami, dans le but de jouer un tour.
Le 11 août 1784, le cardinal se voit donc enfin confirmer un rendez-vous au Bosquet de Vénus, à onze heures du soir. Là, Nicole d’Oliva, déguisée en Marie-Antoinette, le visage enveloppé d’une gaze légère, l’accueille avec une rose et lui murmure un «Vous savez ce que cela signifie. Vous pouvez compter que le passé sera oublié». Avant que le cardinal ne puisse poursuivre la conversation, Mme de La Motte apparaît, signalant que les comtesses de Provence et d’Artois, belles-sœurs de la reine, sont en train d’approcher. Ce contretemps abrège l’entretien. Le lendemain, le cardinal reçoit une lettre de la «reine», regrettant la brièveté de la rencontre. Le cardinal est définitivement conquis, sa reconnaissance et sa confiance aveugle en la comtesse de La Motte deviennent plus que jamais inébranlables.
Jusqu’ici, la comtesse de la Motte se bornait, on le voit, à l’abus de confiance d’assez petite envergure. Mais, désormais toute-puissante sur l’esprit du cardinal, et jouant sur la réputation de passion de la reine pour les bijoux, Mme de La Motte va entreprendre le coup de sa vie, en escroquant cette fois le cardinal pour la somme fabuleuse de 1,6 million de livres.
Le joaillier du roi, Charles Bœhmer, avait conçu une extraordinaire parure de plus de 600 diamants (soit 2500 carats), destinée à l’origine à la comtesse du Barry. La mort de Louis XV avait malencontreusement contrarié le projet, et aucune autre cour européenne ne voulut d’un bijou si coûteux. Le collier fut de nouveau proposé au moment du sacre de Louis XVI, puis à plusieurs reprises à Marie-Antoinette en 1782, mais ni le roi ni la reine ne se décidèrent jamais à l’acquérir, et la reine avait même déclaré qu’en cette période de Guerre d’Amérique, «la France avait plus besoin d’un navire de guerre que d’un collier». Le bijoutier, ne trouvant aucune clientèle pour une telle pièce, risquait d’être ruiné. Cette situation était assez connue à la Cour, et la comtesse de La Motte en eut vent. C’est ainsi que lui vint l’idée de la monumentale escroquerie.
Le 28 décembre 1784, se présentant toujours comme une amie intime de la reine, elle rencontre le bijoutier qui lui montre le collier. Tout de suite elle imagine un plan pour entrer en sa possession. Elle déclare au joaillier qu’elle va intervenir pour convaincre la reine d’acheter le bijou, mais par le biais d’un prête-nom. De fait, le cardinal de Rohan reçoit bientôt une nouvelle lettre, toujours signée «Marie-Antoinette de France», dans laquelle la reine lui explique que ne pouvant se permettre d’acquérir ouvertement le bijou, elle lui fait demander de lui servir d’entremetteur, s’engageant à le rembourser en versements étalés dans le temps – quatre versements de 400 000 livres – et lui octroyant pleins pouvoirs dans cette affaire.
En outre la comtesse s’est ménagé la complicité de Cagliostro, dont le cardinal est fanatique (il ira jusqu’à déclarer «Cagliostro est Dieu lui-même !»). Devant le cardinal, le mage fait annoncer par un enfant médium un oracle dévoilant les suites les plus fabuleuses pour le prélat s’il se prête à cette affaire. La reconnaissance de la reine ne connaîtra plus de bornes, les faveurs pleuvront sur la tête du cardinal, la reine le fera nommer par le roi premier ministre. Le 1er février 1785, convaincu, le cardinal signe les quatre traites et se fait livrer le bijou qu’il va porter le soir même à Mme de La Motte à Versailles. Devant lui, elle le transmet à un prétendu valet de pied portant la livrée de la reine. Pour avoir favorisé cette négociation, l’intrigante bénéficiera même de cadeaux du joaillier.
Immédiatement les escrocs ont démonté le collier et commencé à revendre les pierres. Rétaux de Villette a quelques ennuis en négociant les siennes. Leur qualité est telle et, pressé par le temps, il les négocie tellement en-dessous de leur valeur, que des diamantaires juifs soupçonnent le fruit d’un vol et le dénoncent. Il parvient à prouver sa bonne foi et part à Bruxelles vendre ce qui lui reste. Le comte de La Motte part de son côté proposer les plus beaux diamants à deux bijoutiers anglais de Londres. Ceux-ci, pour les mêmes raisons que leurs collègues israélites, flairent le coup fourré. Ils envoient un émissaire à Paris, mais aucun vol de bijoux de cette valeur n’étant connu, ils les achètent, rassurés. Les dernières pierres sont donc vendues à Londres.
Pendant ce temps, la première échéance est attendue par le joaillier et le cardinal pour le 1er août. Toutefois, l’artisan et le prélat s’étonnent de constater qu’en attendant, la reine ne porte pas le collier. Mme de La Motte les assure qu’une grande occasion ne s’est pas encore présentée et que, d’ici-là, si on leur parle du collier, ils doivent répondre qu’il a été vendu au sultan de Constantinople. En juillet cependant, la première échéance approchant, le moment est venu pour la comtesse de gagner du temps. Elle demande au cardinal de trouver des prêteurs pour aider la reine à rembourser. Elle aurait, en effet, du mal à trouver les 400 000 livres qu’elle doit à cette échéance. Mais le bijoutier va précipiter le dénouement. Ayant eu vent des difficultés de paiement qui s’annoncent, il se rend directement chez la première femme de chambre de Marie-Antoinette, Mme Campan, et évoque l’affaire avec elle. Celle-ci tombe des nues et naturellement va immédiatement rapporter à la reine son entretien avec Bœhmer. Marie-Antoinette, pour qui l’affaire est incompréhensible, charge le baron de Breteuil, ministre de la Maison du roi, de tirer les choses au clair. Le baron de Breteuil est un ennemi du cardinal de Rohan. Découvrant l’escroquerie dans laquelle le cardinal est impliqué, il se frotte les mains, et compte bien lui donner toute la publicité possible.
La prétendue comtesse, sentant les soupçons venir, s’est entretemps arrangée pour procurer au cardinal un premier versement de 30 000 livres. Mais ce versement, d’ailleurs dérisoire, est désormais inutile. L’affaire va éclater aux yeux de la Cour ébahie. Le roi est prévenu le 14 août. Le 15 août, alors que le cardinal – qui est également grand-aumônier de France – s’apprête à célébrer en grande pompe la messe de l’Assomption dans la chapelle de Versailles, il est convoqué dans les appartements du roi. Il se voit sommé d’expliquer le dossier constitué contre lui. Le naïf prélat est atterré de comprendre qu’il a été berné depuis le début par la comtesse de La Motte. Il envoie chercher les lettres de la «reine». Le roi explose : «Comment un prince de la maison de Rohan, grand-aumônier de France, a-t-il pu croire un instant à des lettres signées Marie-Antoinette de France ?». La reine ajoute : «Et comment avez-vous pu croire que moi, qui ne vous ai pas adressé la parole depuis 15 ans, j’aurais pu m’adresser à vous pour une affaire de cette nature ?». Le cardinal tente de s’expliquer. «Mon cousin, je vous préviens que vous allez être arrêté.», lui dit le roi. Le cardinal supplie le roi de lui épargner cette humiliation, il invoque la dignité de l’Église, le souvenir de sa cousine la comtesse de Marsan qui a élevé Louis XVI. Le roi est assurément ébranlé par cet appel à la clémence, mais se reprend devant les larmes de la reine. Il se retourne vers le cardinal : «Je fais ce que je dois, et comme roi, et comme mari. Sortez.».
Le cardinal quitte le cabinet du roi et repasse, chancelant et «pâle comme la mort», dans la galerie des Glaces. Au moment où le cardinal paraît, le baron de Breteuil lance : «Qu’on arrête Monsieur le cardinal !». La stupéfaction et le scandale sont immenses.
Le cardinal est emprisonné à la Bastille. Il commence immédiatement à rembourser les sommes dues en vendant ses biens propres, dont son château de Coupvray. La comtesse de La Motte est arrêtée, son mari s’enfuit à Londres avec les derniers diamants, Rétaux de Villette étant déjà en Suisse. On interpelle aussi Cagliostro et Nicole d’Oliva.
Le roi laisse au cardinal le choix de la juridiction qui aura à se prononcer sur son cas : ou bien s’en remettre directement au jugement du roi, ou être traduit devant le Parlement de Paris. Ce qui s’avère fort malhabile de la part de Louis XVI, le cardinal décidant de mettre l’affaire dans les mains du Parlement, qui est toujours, plus ou moins, en fronde contre l’autorité royale.
Le 22 mai 1786, le procès s’ouvre devant le Parlement, qui rend son verdict le 30. Le cardinal est acquitté. La prétendue comtesse de La Motte, condamnée à la prison à perpétuité à la Salpêtrière, après avoir été fouettée et marquée au fer rouge sur les deux épaules du «V» de «voleuse» (elle se débattra tant que l’un des «V» sera finalement appliqué sur son sein). Son mari est condamné aux galères à perpétuité par contumace, et Rétaux de Villette est banni. Enfin, Nicole d’Oliva et Cagliostro sont mis hors de cause, Cagliostro étant cependant invité à quitter le territoire français dans les plus brefs délais.
Marie-Antoinette est au comble de l’humiliation. Elle prend l’acquittement du cardinal comme un camouflet. De la part des juges, cet acquittement signifie qu’on ne saurait tenir rigueur au cardinal d’avoir cru que la reine lui envoyait des billets doux, lui accordait des rendez-vous galants dans le parc de Versailles et achetait des bijoux pharaoniques par le biais d’hommes de paille en cachette du roi. C’était sous-entendre que de telles frasques n'auraient rien eu d'invraisemblable de la part de la reine. Et c’est bien dans cet esprit que le jugement fut rendu, et pris dans l’opinion.
La reine obtient donc du roi qu’il exile le cardinal de Rohan à la Chaise-Dieu, l’une des abbayes en commende du cardinal, après l’avoir démis de son poste de grand aumônier. Il restera trois mois dans cette abbaye, après quoi il ira sous des cieux plus cléments, à l’abbaye de Marmoutier près de Tours. Ce n’est qu’au bout de trois ans, le 17 mars 1788, que le roi l’autorisera à retrouver son diocèse de Strasbourg.
On ne saurait mieux résumer le résultat de cette affaire que par l'exclamation d'un magistrat du Parlement de Paris au lendemain du verdict : «Un cardinal escroc, la reine impliquée dans une affaire de faux ! Que de fange sur la crosse et le sceptre ! Quel triomphe pour les idées de liberté !».
Bien que Marie-Antoinette ait été, d’un bout à l’autre, absolument étrangère à toute cette affaire, l’opinion publique ne voulut pas croire à l’innocence de la reine. Accusée depuis longtemps de participer, par ses dépenses excessives, au déficit du budget du royaume, elle subit à cette occasion une avalanche d’opprobres sans précédent. Les libellistes laissèrent libre cours aux calomnies dans des pamphlets où la reine se faisait offrir des diamants pour prix de ses amours avec le cardinal. Bien pire, Mme de la Motte, parvenue à s'évader de La Salpêtrière, publie à Londres un immonde récit, dans lequel elle raconte sa liaison avec Marie-Antoinette, la complicité de celle-ci depuis le début de l'affaire et jusqu'à son intervention dans l'évasion.
Par le discrédit qu'il jeta sur la Cour dans une opinion déjà très hostile, ce scandale aura indirectement sa part de responsabilités dans la chute de la royauté quatre ans plus tard et dans le déclenchement de la Révolution. «Cet événement me remplit d'épouvante», écrit Goethe dans sa correspondance, «comme l'aurait fait la tête de Méduse». Et de développer : «Ces intrigues détruisirent la dignité royale. Aussi l’histoire du collier forme-t-elle la préface immédiate de la Révolution. Elle en est le fondement.», (Cf. Le Grand Cophte (1790), pièce inspirée à Goethe par l’histoire de Cagliostro).
(d’après Wikipedia, citations Funck-Brentano)

Voir également La Mort de la Reine.