jeudi 29 mai 2008

L'Or et la Transmutation des Métaux


Mémoires et conférences, précédés de Paracelse et l'Alchimie au XVIe Siècle, par M. Franck, de l'Institut

Paris, H. Chacornac, Editeur, 1889.

Auteur : G. Théodore Tiffereau

In-8 de IX-183 pp. Couverture toilée.

Depuis toujours, les métaux furent classés dans une famille homogène et la distinction entre métaux et métalloïdes reste d’actualité. En effet, ils présentent une longue liste de propriétés communes : malléabilité, densité (masse volumique), éclat, conductibilité thermique, réaction avec les acides… De là, naquit l’idée qu’une telle similitude correspondait à une analogie dans leur composition (certains alchimistes parlèrent même de consanguinité) et que, par conséquent, il devait être possible de passer de l’un à l’autre.
Ainsi, la croyance en la possibilité de transmuter les métaux repose sur des considérations purement théoriques et nullement expérimentales. Lorsque Robert Boyle définit les éléments comme étant des corps qui ne peuvent être divisés en d’autres corps, il fonde, sans le savoir, le principe du caractère élémentaire des métaux, qui mit en fait beaucoup de temps avant d’être validé.
Les Métaux sont des Corps Composés constitue le titre général d’une série de mémoires dont un certain Théodore Tiffereau inonda l’Académie des Sciences de juin 1853 à décembre 1854, donc en pleine période moderne de la chimie. Ses arguments méritent le détour, ne serait-ce que pour constater combien la pensée scientifique a eu du mal à s’imposer :
  • Le dogme de l’unité des métaux est le seul conforme à celui de l’unité de Dieu.
  • Les êtres vivants sont constitués de quelques éléments. Pourquoi pas les métaux ?
  • La transmutation peut être comparée à une sorte d’isomérisation, phénomène bien connu par ailleurs.
  • Le radical ammonium (NH4) qui joue le rôle d’un métal, est un composé. Pourquoi pas les métaux ?
  • Les mineurs ont de tous temps constaté que les métaux ‘‘mûrissent’’ dans les mines.
Venons-en aux faits. Tiffereau a dû toucher peu ou prou à la chimie puisqu’il est ‘‘ancien élève et préparateur de l’école professionnelle de Nantes’’. Lui-même se désigne comme un ouvrier de la science et même un instrument de la Providence. Pourquoi pas, puisqu’il déclare : "Ma découverte est une des gloires de notre siècle." De façon plus prosaïque, il exerce le métier de photographe et engloutit ses maigres ressources pour alimenter sa marotte.
Que lui est-il arrivé ? Lors d’un voyage au Mexique en 1842, il constate que les mines d’or sont proches de dépôts de nitrates, iodures et bromures, de sodium et de potassium. De là va germer en son esprit une curieuse intuition : le moyen de transmuter l’argent en or.
Théodore Tiffereau, alors préparateur de chimie, assistant de M. Lelou, directeur de l'Ecole Professionnelle Supérieure de Nantes, réalisa, au cours d'un voyage d'étude minéralogique entrepris au Mexique, au milieu du XIX° siècle, l'expérience transmutatoire qu'il relata ainsi :
Parti pour le Mexique, en 1842, avec l'intention d'étudier sur place les procédés suivis par la Nature pour la production des métaux précieux, je réussis enfin, après bien des tâtonnements, à transformer en entier en or pur une dizaine de grammes d'un alliage d'argent et de cuivre. Cette transmutation mémorable, je l'accomplis en 1847, dans la ville de Guadalajara, et je fus ainsi autorisé à croire que la science avait eu tort de reléguer la transmutation dans le domaine des chimères…
Mon premier succès fut obtenu à Guadalajara. Voici dans quelles circonstances : Après avoir exposé, pendant deux jours, à l'action des rayons solaires de l'acide azotique pur, j'y projetai de la limaille d'argent pur allié à du cuivre dans la proportion de l'alliage de la monnaie. Une vive réaction se manifesta accompagnée d'un dégagement très abondant de gaz nitreux; puis, la liqueur, abandonnée au repos, me laissa voir un dépôt abondant de limaille intacte agglomérée en masse. Le dégagement du gaz nitreux continuant sans interruption, j'abandonnai le liquide à lui-même pendant douze jours, et je remarquai que le dépôt agrégé augmentait sensiblement de volume. J'ajoutai alors un peu d'eau à la dissolution sans qu'il se produisît aucun précipité, et j'abandonnai encore la liqueur au repos pendant cinq jours. Durant ce temps, de nouvelles vapeurs ne cessèrent de se dégager. Ces cinq jours écoulés, je portai la liqueur jusqu'à l'ébullition, je l'y maintins jusqu'à cessation du dégagement des vapeurs nitreuses; après quoi je fis évaporer à siccité. La matière obtenue par la dessication était sèche, terne, d'un vert noirâtre; elle n'offrait aucune apparence de cristallisation; aucune partie saline ne s'était déposée. Traitant alors cette matière par l'acide azotique pur et bouillant pendant dix heures, je vis la matière devenir d'un vert clair sans cesser d'être agrégée en petites masses; j'y ajoutai une nouvelle quantité d'acide pur et concentré; je fis bouillir de nouveau; c'est alors que je vis enfin la matière désagrégée prendre le brillant de l'or naturel. Je recueillis ce produit et j'en sacrifiai une grande partie pour le soumettre à une suite d'essais comparatifs avec de l'or naturel pur; il ne me fut pas possible de constater la plus légère différence entre l'or naturel et l'or artificiel que je venais d'obtenir (…). Voilà, Messieurs, dans toute sa sincérité, le fait obtenu, le résultat constant que j'ai pu reproduire plusieurs fois au Mexique.

Et dans une lettre cette fois adressée au prestigieux chimiste, membre de l'Intitut, Marcellin Berthelot, Théodore Tiffereau écrit :

(…) Nous ne sommes plus au temps de Galilée, nous pouvons parler, j'en use pour vous affirmer de nouveau, avec une conviction inébranlable, que l'or que j'ai présenté à l'Académie des Sciences le 17 Octobre 1853 est de l'or artificiel, ainsi que je puis le prouver. Une année plus tard, en 1854, je faisais des expériences à la Monnaie en présence de M. Levot. Econduit par ces Messieurs, il ne me restait que la conviction du fait que j'avais obtenu, mais aucun appui pour continuer mes recherches. C'est avec amertume que je renfermais cet or avec mes espérances, sans savoir quand je pourrais reprendre ces travaux, ma position ne me permettant pas de disposer de mon temps…
Théodore Tiffereau adressa plusieurs mémoires à l'Académie des Sciences. Et dans une autre lettre, d'ajouter :
L'or obtenu par moi à Guadalajara constitue un fait palpable que j'ai tenu toujours à la disposition des savants et dont l'existence réelle n'a pas pu être niée. Il a été analysé et reconnu comme un or vrai par M. Silva, ancien président de la Société Chimique et professeur à l'Ecole Centrale. Cette analyse a été confirmée par celles d'autres chimistes, entre autres par celle de M. Itasse. (…) Cet or a figuré à la grande Exposition de 1889, soumis aux membres de la Commission. Il a figuré au Congrès de Chimie dans la séance du 14 août 1889 aux expositions de la Société Chimique, aux Arts et Métiers. M. Silva, ancien président de la Société, auquel j'avais soumis cet or pour qu'il en fit l'analyse, m'a dit : "Cet or a toutes les propriétés de l'or naturel, je n'ai pu en prendre la densité n'ayant qu'une trop minime quantité de ce métal."
On peut noter, à cet égard, que tous les ‘‘transmuteurs’’ de métaux ont été (ou ont voulu être) des faiseurs d’or, alors que, scientifiquement, la transmutation, par exemple, du cuivre en fer représente un objectif tout aussi intéressant et démonstratif. Mais pour eux, aucun doute : transmuter, c’est faire de l’or.
Très schématiquement, le procédé revendiqué par Tiffereau est le suivant : faire réagir de l’acide nitrique sur un mélange de limaille d’argent contenant 10% de limaille de cuivre. La mixture, abandonnée au soleil, forme au bout de quelques jours une matière agrégée, riche en composés aurifères.
Malheureusement, de retour en France, les résultats s’avèrent beaucoup moins spectaculaires. Le soleil mexicain posséderait-il une vertu particulière, propice à l’opération ? En tout cas son rôle demeure très mystérieux, y compris pour l’inventeur lui-même. Notons au passage que les alchimistes représentaient l’or par le soleil. Réminiscences ?
Quoi qu’il en soit, l’Académie, vite lassée par sa jactance et par ses prétentions (il demande 50.000 francs) décide de le mettre au pied du mur en le priant de faire preuve de ses compétences devant témoin. Cet examen a lieu à la Monnaie Impériale de Paris, sous le contrôle de son essayeur en titre, Levol.
Lors du premier essai, Tiffereau pense avoir produit un peu d’or, mais Levol pas du tout, ou alors quelques millionièmes de milligrammes provenant de l’argent, qui n’est pas pur. Le second essai se révèle aussi peu concluant que le premier. Tiffereau sollicite alors une troisième expérience. Malheureusement pour lui, les réserves de patience de Levol sont épuisées et il l’envoie promener en déclarant qu’il savait désormais à quoi s’en tenir et qu’il avait assez perdu de temps. Au désespoir de l’auteur de la plus grande découverte du siècle qui gémit partout : "On m’a opposé la plus cruelle fin de non recevoir."
Bref, la démonstration décisive, tant attendue de part et d’autre, s’évanouit en eau de boudin. Etait-elle d’ailleurs nécessaire ? Dès le départ, c’est-à-dire dès juin 1853, beaucoup de chimistes, sans être des ‘‘instruments de la Providence’’ avaient pu réfuter point par point les allégations de Tiffereau, provoquant l’indignation de ce dernier : "Je comprends à peine comment des raisonnements de cette nature osent se produire en plein 19ième siècle."
Bien entendu l’Académie des Sciences ne lâcha pas un centime et notre inventeur dut se contenter d’agripper de-ci, de-là, quelques dupes moins prestigieuses.
(d'après pagesperso-orange.fr/ours.courageux et www.alchymie.net)