vendredi 16 mai 2008

"Protocols" des Sages de Sion

Paris, Bernard Grasset, Editeur, 1921.

Auteur : (traducteur) Roger Lambelin

In-8 de XXXV-153 pp.

Les Protocoles des Sages de Sion est un document fallacieux, fabriqué par un Russe vivant à Paris, à la demande de la police secrète du tsar, et à l'intention de celui-ci qui en fit un instrument de propagande.

Ce document fut écrit à la fin du XIXe siècle à Paris par un faussaire antisémite russe, Mathieu Golovinski. Le texte tendait à faire croire qu'il existait un programme mis au point par un conseil de sages juifs voulant anéantir la chrétienté et dominer le monde. L'objectif visé ouvertement était donc d'alerter la chrétienté du danger qu'elle courait à plus ou moins long terme; mais l'auteur et ses commanditaires avaient d'autres intentions plus directes et plus politiques : sensibiliser le tsar et son gouvernement aux méfaits qui découleraient inévitablement d'une trop grande ouverture à l'égard des Juifs de l'Empire, réputés comme les chantres inconditionnels de la vie moderne, et intéressés au premier chef par un changement libéral de régime depuis que leur statut avait été dégradé par les tsars réactionnaires comme Alexandre III.

Le livre est composé de récits supposés être les comptes-rendus d'une vingtaine de réunions secrètes exposant un plan secret de domination du monde. Ce plan imaginaire utiliserait violences, ruses, guerres, révolutions et s'appuierait sur la modernisation industrielle et le capitalisme pour installer un pouvoir juif. La publication à grande échelle de ce texte prétendait dévoiler ce «complot juif». Ce texte fut repris par Adolf Hitler comme pièce maîtresse de la propagande antisémite du Troisième Reich. Depuis lors il n'a cessé d'être lu et amplement diffusé; il constitue une pièce centrale dans l'arsenal de l'antisémitisme contemporain. On le retrouve également dans la théorie de ZOG, apparue dans les milieux d'extrême-droite aux États-Unis.

Les Protocoles des Sages de Sion, parfois surtitrés Programme juif de conquête du monde, sont parus en deux temps et deux versions proches, toutes deux éditées en Russie. D'abord partiellement en 1903 dans le journal Znamia, puis dans une version complète, en 1905 et 1906. Durant les quinze années suivantes, les Protocoles circulent dans les cercles restreints de la police secrète et des antisémites russes. Avec la Révolution d'Octobre en 1917 et la fuite en masse de Russes anti-révolutionnaires (on comptait parmi eux un certain pourcentage d'antisémites) vers l'Europe de l'ouest, l'aire d'influence des Protocoles s'élargit. Ils ne deviennent cependant célèbres à l'échelle internationale qu'en 1920 lorsqu'ils sont traduits en allemand (janvier) puis en anglais (février).

Dès leur arrivée sur la scène publique, leur authenticité a fait l'objet de questionnements. Dans son édition du 8 mai 1920, le Times de Londres évoque ce «singulier petit livre» dans un éditorial titré "Le Péril juif, un pamphlet dérangeant. Demande d'enquête". L'article, malgré le titre dubitatif, tend à démontrer le caractère authentique du pamphlet, en particulier en insistant sur sa nature de prophétie réalisée. L'article du Times sort au moment où les Russes Blancs (contre-révolutionnaires) étaient en train de perdre la guerre civile qui avait débuté en 1918, et où le premier ministre britannique, Lloyd George, envisageait de négocier avec les bolchéviques. Il s'agissait alors pour les durs du parti conservateur de discréditer les nouveaux maîtres du Kremlin en agitant l'épouvantail d'une «Pax Hebraica», et le Times se prêta à la manœuvre. Un an plus tard, le 17 août 1921, le Times revient sur son erreur et publie la preuve du faux sous le titre «La fin des Protocoles», mais sans convaincre grand monde puisque les thèmes développés dans les Protocoles seront repris au cours des années suivantes dans de nombreux ouvrages (pseudo-scientifiques, polémistes ou de fiction) antisémites publiés à travers l'Europe.

L'examen attentif du texte a mis en évidence la falsification : les Protocoles ne sont en fait qu'un plagiat du texte du Dialogue aux Enfers entre Machiavel et Montesquieu, publié à Bruxelles en 1864 par Maurice Joly, qui y dénonce un complot bonapartiste. La supercherie devient évidente par simple comparaison ligne à ligne des deux textes.

La vérité sur son auteur n'a, quant à elle, été découverte qu'à la fin du XXe siècle par un historien en littérature russe : Mikhail Lépekhine, grâce à l'ouverture des archives soviétiques à partir de 1992. Le faussaire est en effet devenu compagnon de route des Soviétiques qui détenaient les documents.

La structure du texte falsifié découverte, puis le faussaire et les causes de la falsification identifiées, il ne subsiste plus aujourd'hui aucun doute sur la nature de ce document. Pourtant, certains partis ou groupes antisémites, voire certains régimes continuent de citer les Protocoles des Sages de Sion comme preuve irréfutable d'un complot juif international. Les historiens sont cependant unanimes sur cette falsification grossière, aux conséquences paradoxalement considérables, puisque ce texte servit par la suite d'instrument de propagande antisémite, aux nazis notamment. Caractérisant les Juifs sur des bases racistes et non plus seulement religieuses, il fut et reste un des véhicules majeurs de l'antisémitisme moderne, utilisant la logique de la théorie du complot.